Portrait

Emmanuelle Galichet : quand l’atome mène à l’Ordre national du Mérite

3 février 2025

© Vignette : Nicolas Hippert (Unsplash).
Emmanuelle Galichet est enseignante-chercheure en sciences et technologies nucléaires au Cnam depuis 25 ans. Elle est une référence dans son domaine et intervient régulièrement dans les médias pour populariser cette énergie auprès du grand public. Son expertise reconnue en fait aujourd’hui une Chevalière de l’Ordre national du Mérite, institué par le général de Gaulle en 1963 et qui récompense les « mérites distingués », militaires ou civils, rendus à la nation.

Médaille de l'Ordre national du MériteLa consécration a eu lieu le 10 février 2025 pour Emmanuelle Galichet, dont la vocation remonte à loin. Née à Lyon, elle est issue d’une famille à la fibre scientifique très ancrée. Son grand-père était ingénieur, à la tête des cours du soir de l’Institut catholique d’Arts et Métiers à Lille, et son père professeur de mathématiques et de physique. Emmanuelle Galichet a donc (presque) naturellement suivi cette voie en faisant des études de physique nucléaire pour finalement décrocher, en 1998, un doctorat en physique nucléaire. « Ce n’était pas si naturel, précise-t-elle. J’étais moins douée pour les sciences que pour les lettres. Mais l’envie de montrer que j’en étais capable a sûrement joué, outre le fait qu’à l’époque, les élèves bons et sérieux allaient très souvent en série scientifique au lycée. Cela a aiguisé mon esprit de compétition. »

Un an plus tard, la jeune enseignante-chercheure intègre le Cnam et enseigne en soirée aux techniciens des entreprises du secteur nucléaire souhaitant évoluer vers le statut d’ingénieur. En 2007, elle se voit confier de nouvelles missions en termes d’innovation pédagogique en lien avec le numérique. Elle crée alors les premiers cours en ligne en sciences nucléaires. Puis les progrès dans les technologies numériques aidant, elle débute une réflexion sur l’évolution de la pédagogie en intégrant progressivement des expériences immersives : réalité virtuelle, augmentée et mixte. C’est ainsi que vont naître quelques années plus tard (en 2017) un certain nombre de travaux pratiques en réalité virtuelle, et en particulier le jumeau numérique de la salle de travaux pratiques de mesures nucléaires. Grâce au projet JENII (Jumeaux d’enseignements numériques immersifs et interactifs) et le financement de l’Agence nationale de la recherche, le dernier-né des jumeaux numériques s’attèle à numériser entièrement un projet de maintenance de certains équipements centraux d’une installation nucléaire. En intégrant les problématiques techniques, les apprentissages sur l’élaboration des coûts et le planning d’un projet, les apprenants sont pleinement formés aux contraintes majeures de la filière nucléaire.

En 2012, Emmanuelle crée au Cnam un diplôme d’ingénieur par apprentissage en génie nucléaire, adapté aux futurs enjeux industriels et qui accueille 25 apprentis par an de niveau bac+2. Objectif du diplôme : développer des compétences opérationnelles solides améliorant l’employabilité immédiate des apprenants tout en favorisant un transfert direct des savoir-faire spécifiques au contexte industriel.

Logo Women in Nuclear FranceWomen in Nuclear France

Emmanuelle Galichet n’est pas seulement une enseignante et une chercheure. Réserviste citoyenne dans la Marine nationale, elle est aussi depuis octobre 2023 la présidente de WiN France : Women in Nuclear. L’association internationale, créée en 1993, travaille sans relâche autour de trois objectifs majeurs :

  • développer la mixité, source de performance et d’innovation, en donnant envie aux jeunes filles de rejoindre la filière nucléaire, domaine scientifique et technique passionnant ;
  • faire connaître au grand public l’intérêt de toutes les applications du nucléaire (énergie, santé, arts), et tout particulièrement en tant que source d’énergie bas carbone ;
  • enfin, favoriser le partage entre réseaux de femmes par des actions concrètes comme le mentorat.

Pour Emmanuelle Galichet, la présidence de WiN France n’était en fait que la suite logique au Prix Fem’Energia qui lui a été attribué en 2018. Et c’est son credo le plus cher qui lui a permis de parvenir à cet objectif : encourager l’intérêt des jeunes pour les sciences, dès les bancs de l’école primaire !

Emmanuelle Galichet, maître de conférences au Cnam en sciences nucléaires et Chevalière de l'Ordre national du Mérite3 QUESTIONS À EMMANUELLE GALICHET, MAÎTRE DE CONFÉRENCES AU CNAM EN SCIENCES NUCLÉAIRES

Votre parcours professionnel est remarquable : quel bilan en tirez-vous ?

J’éprouve évidemment une certaine fierté pour mon parcours professionnel, mais le point fondamental que je retiens surtout, c’est le fait qu’énormément de personnes ont cru en moi, m’ont soutenue et m’ont formée tout au long de mon parcours. Je ne saurais jamais les en remercier assez. Chaque parcours professionnel est toujours un ensemble de rencontres, de réussites et d’échecs qui nous font grandir et devenir de plus en plus performant et intelligent. Je dirais que l’aspect essentiel d’une belle carrière professionnelle, c’est de vouloir toujours se renouveler, s’engager dans des missions qui ont du sens, en gardant une certaine liberté de choix. C’est le propre d’un métier passion.

Parlez-nous des formations en sciences nucléaires accessibles au Cnam…

Aujourd’hui, les formations en sciences et technologies nucléaires du Cnam sont de niveau licence professionnelle (Chargé d’affaire électrique en environnement nucléaire) et de niveau ingénieur (Génie Nucléaire en hors temps de travail et en apprentissage). Elles sont toutes en alternance, permettant ainsi d’allier formation académique incontournable pour les métiers tels que ceux de l’énergie nucléaire et les savoir-faire techniques et opérationnels dont l’industrie est garante. En septembre 2025, nous prévoyons d’ouvrir au Cnam Bourgogne-Franche-Comté une licence Conception et amélioration de processus et procédés industriels spécialité nucléaire et un master 2 en droit du nucléaire en hors temps de travail à Paris. Enfin, nos projets à plus longue échéance sont des ouvertures de différents diplômes de niveau bac+1, bac+2/3 et bac+5 dans les régions où des projets nucléaires se développent (Bourgogne-Franche-Comté, Normandie, Centre-Val de Loire, Pays de la Loire, PACA) ainsi que des micro-certifications de niveau bac+6 pour répondre aux besoins des industriels dans différents domaines liés aux nouveaux concepts de réacteurs. Le + des formations du Cnam, c’est que notre établissement est au carrefour de la formation, de l’industrie et de la recherche. C’est assez unique dans le paysage universitaire français. Cela permet d’écouter les besoins industriels et de les traduire en offre de formation sans laisser de côté ni les bases scientifiques ni les apports de la recherche et de l’innovation.

Plus généralement, où en est-on de la filière nucléaire en France après l’ouverture de l’EPR de Flamanville ?

L’EPR (réacteur pressurisé européen) de Flamanville est bien évidemment un grand événement. C’est tout un symbole pour la filière nucléaire, mais aussi pour la France. Les projets futurs de la filière sont extrêmement ambitieux et les défis sont immenses, mais la réussite du renouveau du nucléaire en France est possible en étant clairvoyant et en engageant les moyens à la hauteur des enjeux. J’en suis persuadée ! Pour autant, le point central qui pourrait compromettre leur réussite, selon moi, c’est que ces projets ne pourront se réaliser sans des femmes et des hommes bien formés à tous les niveaux de diplômes et en nombre suffisant. L’énergie nucléaire et son exploitation industrielle en toute sûreté est bien plus qu’une simple énergie bas carbone sur laquelle on fait du profit. C’est avant tout un bien commun, et l’unique objectif de la filière nucléaire dans son intégralité doit être de permettre une production d’énergie dans tous les territoires et pour tous. Un peu comme le Cnam, en somme, dont la mission de service public depuis 1794 est d’enseigner à tous et partout.