Projet CAGAMI

Un nouveau défi pour le Cnam dans la pédagogie par la technologie numérique

20 janvier 2025

© Vignette : Ludde Lorentz (Unsplash).
Le Cnam, pionnier des jumeaux numériques avec l’avion léger, le réacteur nucléaire et les expériences en laboratoire chimie-agro-pharma (CAP’VVR), s’apprête à relever un nouveau challenge avec le projet CAGAMI. Il s’agit ici d’utiliser trois technologies numériques différentes pour aborder la sécurité et les gestes techniques pour l’industrie et les métiers d’art. Les livrables du projet sont attendus pour 2027.

Kagami en japonais signifie « miroir ». Et le projet CAGAMI, comme un clin d’œil à ce mot nippon, se décline ainsi : Capture des gestes dans l’art, la mode et l’industrie. Et il s’agit bien d’un miroir de la réalité, puisque CAGAMI doit expérimenter trois technologies – la captation 360°, la Motion capture et les technologies immersives – pour numériser une réalité donnée. Ce projet date de 2022 ; il était à l’origine porté par le groupement d’universités Hesam, dont le Cnam faisait partie. À la suite de sa dissolution, le Cnam a repris le plan d’action avec les premières réflexions pour 2025 et les premiers livrables en 2027 pour une mise en pratique dans les cours et les ateliers concernés.

CAGAMI : miroir de l'excellence française

Les partenaires du projet comme le Cnam, l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'art, Arts et Métiers, ou encore l’Institut français de la mode, disposent d’un patrimoine immatériel considérable que la technologie numérique permettra de valoriser encore davantage en mettant l’accent, par le numérique, sur la sécurité et les gestes métiers et la simulation de mises en situation. Les scénarios qui seront envisagés – à la fois pédagogiques et muséologiques – pour les ateliers d’art concernent la céramique, le verre, le dessin et la peinture, la sculpture ou encore les objets de design. Le choix de scénarios sera confirmé en fonction des besoins des écoles et de ceux du corps enseignant. S’agissant des modules industriels, on pense à la virtualisation à 360° des laboratoires du Cnam en lien avec les métiers des industries chimiques, pharmaceutiques et agroalimentaires.

Ce projet doit permettre aux enseignants et aux établissements d’accéder à des ressources pédagogiques témoins de savoir-faire séculaires pour certains, et de participer à une formidable expérimentation qui questionne les pratiques, la place du numérique et l’interaction homme-machine. Pour les apprenants, c’est une révolution pédagogique qui se met en place : des modules immersifs avec, pour finalité, de les entraîner aux gestes techniques en toute sécurité avant de rentrer en réel dans un laboratoire ou dans un atelier.

Financé par la région Île-de-France à hauteur de 235.000 €, le développement, notamment, des modules immersifs sera réalisé en partenariat avec la société Mimbus, spécialisée dans la conception de solutions pédagogiques innovantes et intuitives. Mimbus travaille déjà avec le Cnam depuis quatre ans dans le cadre du projet CAP’VR (modules de chimie immersifs) et d’autres jumeaux numériques dans le domaine de la mécanique et de l’énergie. La direction nationale des usages numériques (DN1) du Cnam, pionnier dans les jumeaux numériques à visée pédagogique, participe aussi activement au développement des modules. Et ce que l’on sait de manière certaine à ce stade, c’est que, d’ici 2027, au moins trois démonstrateurs numériques seront livrés. Au moins un par technique choisie !

Quid des 3 technologies envisagées pour le projet CAGAMI

Captation à 360°

Nous parlons ici d’une vidéo d'une scène du monde réel où l'image est enregistrée dans toutes les directions en même temps. Par la suite, via un casque virtuel ou simplement un ordinateur ou une tablette, l'utilisateur a le contrôle sur la direction dans laquelle il souhaite être immergé dans la scène : en haut, en bas ou latéralement. Généralement, la seule direction dans laquelle il ne peut regarder est celle dans laquelle se trouve la caméra qui a enregistré la vidéo. Avec ce système, on peut visiter une ville (Google Maps), une salle de musée, et bientôt le jumeau numérique d’un hangar pour l’avion léger virtuel du Cnam ou celui du laboratoire de chimie-agro-pharma du Cnam.

Motion capture ou capture de mouvement

Il s’agit ici d’une technologie qui enregistre les mouvements des personnes ou des objets à l’aide de capteurs. Les données sont ensuite transférées vers une application pour intégrer la partie réelle dans un environnement virtuel. Cette capture de mouvement est désormais très utilisée par le cinéma, la télévision et dans les jeux vidéo. Au Cnam, dans le cadre du projet CAGAMI, il s’agira de saisir des gestes permettant de comprendre leur technicité. Exemple : un souffleur de verre retirant la matière du four avant de la modeler pour parvenir à l’objet fini.

Technologies immersives

Il s'agit de la mise en place de modules immersifs avec la finalité d’entraîner les apprenants au geste technique en toute sécurité avant de rentrer au laboratoire.

3 QUESTIONS À MAITE SYLLA, PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS ET RESPONSABLE DU PROJET CAP’VR, ET À PIERRE LÉVY, PROFESSEUR DU CNAM ET TITULAIRE DE LA CHAIRE DE DESIGN JEAN-PROUVÉ

Que vous inspire cette nouvelle aventure technologique qui doit permettre au Cnam de maintenir son avance dans le domaine de la pédagogie numérique ?

Maité Sylla
Cette nouvelle aventure technologique est effectivement une très belle opportunité pour le Cnam de continuer à affirmer son avancée dans le domaine de l’innovation numérique, notamment en ce qui concerne la réalité virtuelle. Travailler avec les spécialistes métiers d’art sera, j’en suis certaine, particulièrement passionnant, car c’est une première collaboration au Cnam où les sciences de l’ingénieur et les métiers d’art convergent grâce aux technologies immersives. Bien que chaque discipline ait ses spécificités, le projet apporte une unité qui favorise le travail en commun et l’échange de savoir-faire.
En outre, CAGAMI s’inscrit dans la continuité des projets que nous menons depuis plusieurs années autour des technologies immersives dans l’enseignement, notamment dans les domaines de l’agroalimentaire, de la chimie et de la pharmacie. Ce projet permettra, entre autres, de réaliser des numérisations 360° de nos nouveaux laboratoires, récemment construits à Saint-Denis (bâtiment Synergie). L’objectif est de présenter non seulement les locaux, mais aussi les équipements et matériels utilisés dans le cadre des travaux pratiques.
Par ailleurs, CAGAMI renforcera l’utilisation des technologies immersives pour enseigner les manipulations courantes au laboratoire et, surtout, les gestes techniques essentiels. Ce projet représente une nouvelle étape marquante pour le Cnam, pionnier dans l’application des technologies immersives à l’enseignement des sciences de l’ingénieur. Désormais, il intègre également une dimension métiers d’art, enrichissant encore davantage son champ d’action.

Pierre Lévy
Associer ces nouvelles technologies, et leur potentiel encore à découvrir, aux compétences et technologies qui font notre patrimoine industriel et culturel est évidemment constitutif du Cnam. D’abord parce que le Cnam est un conservatoire vivant qui porte son attention sur les arts et les métiers. Cette association permet la rencontre des arts et des métiers dits anciens, même si en France ils sont encore très vivants, et des nouveaux arts et nouveaux métiers sur lesquels le Cnam innove.
Ensuite parce qu’au travers de cette association, l’histoire des techniques et des savoir-faire se confronte à elle-même pour le meilleur et pour pouvoir faire avancer à la fois nos connaissances et nos savoir-faire.
Ce que ces technologies appliquées à ces métiers vont pouvoir nous apporter n’est pas encore entièrement clair. Mais il est certain qu’elles ouvrent de nouveaux horizons et de nouvelles possibilités qu’il nous faut explorer. Proposer une exploration et, à travers elle, faire avancer les arts et métiers est ce que le Cnam peut proposer de meilleur.

Lire la suite de notre entretien avec Maité Sylla et Pierre Lévy

Pour chacune des trois techniques citées ci-dessus, quelles vidéos à 360°, Motion capture et technologies immersives seraient les plus pertinentes à concevoir pour démarrer cette petite révolution ?

Maité Sylla
Chaque technique apportera des avantages spécifiques. Par exemple, nous nous inscrirons dans la continuité des projets développés au cours des quatre dernières années, notamment concernant les technologies immersives. Concernant, la captation 360°, cette technologie permettra de numériser nos laboratoires et/ou salles de travaux pratiques (TP) et de familiariser les élèves avec l’environnement des TP avant même qu’ils ne se rendent sur place. En amont des travaux pratiques, ils pourront explorer virtuellement les locaux, prendre connaissance des équipements et se sentir plus à l’aise lorsqu’ils passeront à la pratique.
Pour la capture de mouvement, cette technologie, que nous n’avions pas encore utilisée, représente une nouveauté pour nous. Elle sera testée pour la première fois dans le cadre de ce projet, et nous sommes impatients d’explorer son potentiel. Nous tiendrons informés des avancées nos apprenants dans un prochain article…

Pierre Lévy
Pour répondre à cette question, je m’intéresse surtout au domaine des métiers d’art. Dans ce cadre, ces techniques peuvent initier quelque chose si elles peuvent permettre de démontrer à la fois la précision de gestes techniques, les savoirs et savoir-faire nécessaires à une série de gestes qui constituent les métiers d’art, et la complexité du lieu qu’est l’atelier, et qui demande à la fois une organisation précise et une capacité d’adaptation à l’inattendu.
Une série de vidéos dans un atelier qui pourrait exemplifier cette richesse des métiers d’art serait donc pertinente. Je pense particulièrement à la verrerie, qui intègre au sein d’un même lieu un ensemble de petits ateliers. Chacun d’entre eux est dédié à une étape de la fabrication d’un objet en verre, incluant des gestes précis, des outils dédiés, des températures différentes qu’il faut maîtriser pour obtenir le résultat voulu.
L’organisation de l’espace témoigne donc des étapes de production et du contrôle de la température (vidéo à 360°). Chaque partie de cette espace témoigne de gestes spécifiques dédiés à une étape précise de la fabrication (capture de mouvement). Et chacun de ces gestes témoigne d’un dialogue entre l’artisan et le verre en cours de transformation (vidéo volumétrique). Il pourrait en être de même pour la céramique, incluant la cuisson par le feu et l’émaillage et la cuisson.

Pour les apprenants, quelle valeur ajoutée dans le cadre de leur formation ?

Maité Sylla
Dans les domaines des sciences de l’ingénieur, en particulier en agroalimentaire, chimie et pharmaceutique, le développement de nouveaux modules pédagogiques, qu’il s’agisse des captations 360° ou des environnements immersifs, représente une avancée significative. Ces technologies offrent de nouvelles opportunités pour enrichir l’apprentissage, en particulier dans un contexte où les travaux pratiques sont de plus en plus restreints en durée et où le public est très hétérogène. Certains de nos apprenants découvrent pour la première fois un environnement scientifique.
Ces outils immersifs leur permettent donc de se familiariser avec les espaces de travail, d’appréhender les consignes de sécurité et de se former à l’utilisation des équipements avant même de commencer les travaux pratiques. En amont, ils peuvent explorer virtuellement l’environnement, découvrir les matériels et les outils nécessaires, ce qui les rend plus confiants et mieux préparés lors des sessions en réel.
Enfin, suite à notre expérience actuelle de déploiement de nos enseignements immersifs, notre constat est que ces technologies enrichissent l’expérience pédagogique en offrant des moyens innovants et ludiques d’enseigner les sciences techniques. Elles représentent une véritable évolution dans la manière de former les futurs professionnels.

Pierre Lévy
À l’heure actuelle, ces outils sont essentiellement démonstratifs. Ils permettent de donner aux apprenants un regard global sur les gestes et les processus de fabrication. Cette démonstration peut être également utile pour un plus large public, que ce soit le grand public ou les apprenants en lien avec ces métiers-là, afin de mieux faire connaître ces professions techniquement et culturellement riches.
Ces outils peuvent également permettent de montrer les risques et les points d’attention importants à prendre en compte pour fabriquer en toute sécurité. Mais ils ne secondent pas encore l’apprentissage du geste par le geste, qui reste le cœur fondamental de la pédagogie pour ces métiers.