Journée mondiale des banques

Entretien avec Alexis Collomb, professeur du Cnam, titulaire de la chaire Finance de marché

15 décembre 2025

© Vignette : Micheile Henderson (Unsplash).
La Journée mondiale des banques du 4 décembre permet de mettre en lumière le rôle essentiel des banques dans le développement économique, la stabilité financière et la réduction des inégalités à travers le monde. Elle souligne aussi l'importance des institutions financières internationales dans le soutien aux économies en difficulté et aux initiatives de développement durable. Au Cnam, l’offre de formation proposée dans la thématique répond à l’ensemble de ces critères.

Alexis Collomb, professeur du Cnam, titulaire de la chaire Finance de marchéLes formations en banque et finance du Cnam répondent-elles à tous les enjeux de l’époque, notamment en termes de financement durable ?

On ne répond certainement pas à tout mais nous avons lancé, il y a maintenant plusieurs années, un cours de finance durable qui a rencontré un franc succès auprès de nos publics, en particulier les plus jeunes générations qui sont particulièrement sensibles aux problématiques de durabilité, de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. On peut toujours faire mieux, mais on a également intégré des problématiques de finance à impact et/ou de finance sociale. Beaucoup de jeunes qui vont aujourd’hui vers les métiers de la finance cherchent aussi bien sûr un sens extra-financier à leur métier. Le rendement financier compte toujours pour eux – il serait naïf de croire que ce n’est pas le cas –, mais il doit aussi être associé à de meilleures pratiques de gouvernance, à des investissements avec des critères de durabilité affirmés et vérifiables, à des impacts sociétaux plus vertueux. Depuis 2024, le Cnam est habilité à faire passer la certification AMF Finance durable, et à former pour la préparer, et c’est important pour nous. La finance durable redonne d’ailleurs à la finance une meilleure réputation alors que l’image que s’en faisait le grand public avait été très ternie par la crise de 2008 et les excès qui l’avaient amenée.

Quels sont les profils demandés aujourd’hui par le secteur bancaire, et en quoi les diplômés du Cnam sont-ils de bons profils ?

Le secteur bancaire est en pleine évolution avec une réorganisation croissante de la banque de détail* – et parfois la disparition des agences de proximité. Sans compter une floraison de nouveaux outils numériques, souvent liés à l’IA, avec de nouvelles exigences de conformité, et aussi avec un développement constant de fintechs** et de néo-banques, acteurs plus agiles qui continuent à gagner des parts de marché, surtout auprès des jeunes générations. Il y a eu aussi, comme dans d’autres industries, une inflation normative et réglementaire, tout à fait compréhensible en particulier dans le sillage de la crise de 2008 pour mieux protéger les épargnants et les entreprises et mieux encadrer leurs investissements et l’évaluation de leurs risques. Les banques jouent évidemment un rôle absolument central pour le financement de l’économie, qu’il faut bien réguler. Soyons réalistes : les métiers de la finance recrutent en général en formation initiale dans les meilleures écoles de commerce et d’ingénieurs, et l’environnement est donc très compétitif. Mais les diplômés du Cnam, qui viennent d’horizons très divers par leur formation initiale, ont en général pour eux leur motivation, leur maturité et leur résilience. Faire une formation à 30 ou 40 ans n’est pas anodin : cela signale le plus souvent une curiosité intellectuelle et une volonté de progresser auxquelles les entreprises sont sensibles. Pour parler simplement, nos diplômés « ont faim » de perfectionnement de leurs connaissances et d’acquisition de compétences métiers, et ont le plus souvent une solide expérience professionnelle. Cela rend leur profil intéressant. Par ailleurs, nous essayons bien sûr de les accompagner au plus près de l’évolution des métiers de la finance, afin de renforcer l’attractivité de leurs profils.

Quelles évolutions à attendre dans le secteur bancaire d’ici 5 ans, et donc des formations y répondant ?

C’est une question difficile, et je ne peux proposer que quelques pistes. Il y a une tension et un équilibre à trouver entre la technologie qui peut amener des changements très rapides et la réglementation qui s’attache aux grands principes (protection des épargnants, etc.), qui doit s’assurer que ces derniers sont toujours respectés. Quand vous discutez avec des conseillers bancaires de leur relation avec les clients, ils évoquent souvent des pratiques divergentes entre générations : les plus jeunes sont souvent pour le « tout numérique »/distanciel, et certains moins jeunes pour le « tout physique »/présentiel. Mais la majorité des clients semble confortable avec des pratiques hybrides : à l’aise avec des applications de smartphones pour l’essentiel de leurs transactions, ils veulent néanmoins voir un conseiller pour des opérations déterminantes de leur planification financière, comme la mise en place d’un crédit, par exemple.

Au Cnam, nous avons ouvert un parcours de finance numérique il y a quelques années pour faire face à une numérisation croissante de la fabrique financière, pour les entreprises comme pour les ménages et les particuliers. Le développement des fintechs et des néo-banques a favorisé une forme de désintermédiation des acteurs bancaires traditionnels, avec des gains d’efficacité. Cependant, il faut rester prudent et ne pas vouloir tout casser. Par exemple, je dis souvent aux étudiants que si l’intermédiation bancaire existe depuis si longtemps, c’est qu’elle a été et reste génératrice de valeur. Que certains souhaitent automatiser complètement cette chaîne de services et de valeur ajoutée est compréhensible, mais il faut savoir où s’arrêter. Quand vous regardez l’évolution des actifs numériques et l’émergence de la finance décentralisée, avec sa gestion d’emprunts/prêts entre acteurs régie automatiquement par des protocoles et des contrats intelligents, il faut aussi comprendre d’où l’on vient et avoir saisi les fonctions essentielles de la finance traditionnelle. Les banques, et leurs régulateurs, ont un rôle clé dans le financement de l’économie – particuliers ou entreprises –, dans la gestion de la valeur, dans la lutte contre les fraudes et la préservation de l’intégrité du tissu économique. Il ne faut pas l’oublier.

Quand vous avez une fraude ou un dysfonctionnement opérationnel dans un système désintermédié, vers qui se tourner ? Cela rejoint les problématiques d’introduction à l’intelligence artificielle (IA). Comme client, lorsque vous avez un souci, vous préférez très certainement pouvoir parler à un conseiller bancaire intelligent qui va pouvoir démêler la spécificité d’une situation plutôt qu’à un automate vocal ou à un chatbot, qui de surcroît souvent encore ne fonctionne pas très bien et/ou vous fait tourner en boucle sans vraiment répondre à votre question ou résoudre votre problème. Et quand on parle d’IA, ou plus simplement d’outils numériques, il faut pouvoir comprendre les algorithmes et les heuristiques (qui consiste ou qui tend à trouver) qu’il y a derrière. Il ne faut pas oublier non plus que les banques sont aussi des employeurs très importants et peuvent avoir un impact social et sociétal fort ; les impacts métiers de l’IA doivent donc être suivis de très près. Il faut accompagner la montée en compétences des différents acteurs.

Face à ces anticipations, nous essayons de former nos auditeurs à la fois aux concepts fondamentaux de l’économie bancaire et aux méthodes numériques les plus récentes. Ainsi, nous avons introduit de nouveaux cours de programmation (ex. en python) et d’apprentissage des techniques de deep/machine learning* pour la finance et autres méthodes d’IA, tout en préservant des enseignements qualitatifs essentiels comme un cours d’économie bancaire pour comprendre la valeur de l’intermédiation bancaire. Soit dit en passant, il y a aussi de gros enjeux de pédagogie : en 2025, être un conseiller bancaire demande de maîtriser un environnement complexe, comme les nombreux produits financiers disponibles et les réglementations en vigueur. Et cela doit aussi être fait en lien avec d’autres produits, tels que ceux de l’assurance.

En conclusion, je pense que le banquier de demain devra savoir bien utiliser toutes sortes d’outils numériques appliqués aux problématiques bancaires traditionnelles (attribution ou non d’un crédit, valorisation d’un actif, vérification de l’origine de fonds pour lutter contre le blanchiment, etc.), mais il lui faudra aussi être capable de comprendre les algorithmes et les méthodologies qui sont derrière. Et je reste convaincu qu’il ou elle doit rester un acteur important du financement de l’économie, en particulier dans les territoires. Bien sûr, nous ne voulons pas former des robots, mais nous voulons précisément que nos diplômés soient capables d’utiliser tous ces outils de la manière la plus efficace possible tout en gardant un esprit critique.